Paris, le 7 octobre 2019
De nombreux malades atteints de cancers ou de maladies chroniques invalidantes prennent des médicaments dits « biologiques ». Ces traitements de nouvelle génération, issus d’organismes vivants produits grâce à des procédés biotechnologiques, sont une réelle opportunité pour combattre des maladies graves, difficiles à contrôler, qui ont un impact majeur sur l’espérance de vie et la qualité de vie de centaines de milliers de personnes…
Quand le brevet de ces biomédicaments tombe dans le domaine public, les industriels sont autorisés à produire des médicaments dits « similaires » à ne pas confondre avec des génériques car leur nature biologique ne les rend pas copiables à l’identique. Pour pouvoir être commercialisés, les biosimilaires doivent démontrer un profil de qualité, de sécurité et d’efficacité similaire au médicament d’origine, dit « de référence ». De fait, ces médicaments n’apportent aucune amélioration par rapport au médicament original mais permettent une mise en concurrence avec un effet non négligeable sur les prix. L’arrivée sur le marché des biosimilaires a reçu un écho favorable dans les associations de patients qui sont sensibles à l’argument économique et à la maîtrise des dépenses de santé et qui, par principe, ne sont donc pas opposées à leur utilisation. Néanmoins un collectif de 5 associations de patients soutenues dans leur action par 10 autres associations1 s’oppose aujourd’hui à la substitution en officine des médicaments biologiques estimant que la substitution en officine ne pourra se faire qu’au dépend de la sécurité et du bien-être des malades.
Nous estimons que l’initiation d’un traitement avec le choix d’un médicament biologique de référence ou du biosimilaire doit intervenir dans le cadre d’une décision partagée avec le médecin prescripteur. Cette décision conjointe peut aussi avoir lieu en cours de traitement dans ce qu’on peut nommer comme « interchangeabilité » .
La substitution permet au pharmacien d’officine de dispenser au patient un traitement générique équivalent au traitement prescrit par le médecin. Les syndicats de pharmaciens officinaux et les industriels commercialisant les biosimilaires défendent à tout prix la possibilité de possibilité de pouvoir substituer aussi les médicaments biologiques en officine. Il apparaît utile et important de rétablir certaines vérités face à un discours qui affiche la volonté de s’inscrire dans une démarche de services aux patients alors que les associations de patients sont largement et publiquement opposés à une substitution non contrôlée.
La communication ambiante autour de la possibilité de pouvoir substituer un médicament biologique par biosimilaire propose une vue partielle et partiale de la situation, présentant la substitution comme solution miracle au développement des biosimilaires et donc à l’équilibre des comptes sociaux alors que le seul avantage économique nouveau serait en fait au bénéfice des pharmaciens d’officine.
Dans les maladies chroniques, le médicament devient notre compagnon du quotidien qui réclame une véritable démarche d’appropriation et d’acceptation. Ce processus peut être long et conditionne l’adhésion au médicament, c’est un enjeu essentiel de la prise en charge
Le ministère de la santé a lancé une politique incitative à la prescription des biosimilaires à l’hôpital au travers notamment d’expérimentations. Les premiers résultats sont parus et sont très encourageants : la prescription de médicaments biosimilaires est à la hausse dans la quasi-totalité des CHU de l’expérimentation. Globalement, les biosimilaires sont très bien acceptés en initiation de traitement et cela bénéficie également à l’acceptation de l’interchangeabilité. Or, comme la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) le rappelait encore récemment, la prescription hospitalière conditionne l’utilisation des biosimilaires en ville et la récente ouverture du renouvellement de certains biosimilaires complexes jusqu’alors réservé aux praticiens hospitaliers (Prescription Initiale Hospitalière) aux spécialistes libéraux sera une occasion supplémentaire de développer le recours aux biosimilaires.
Les biosimilaires présentent certes des opportunités pour la collectivité, au regard des économies qu’ils permettent à l’assurance maladie, toutefois, leur développement dans de bonnes conditions nécessite prudence et vigilance.
Les biomédicaments sont des médicaments complexes. Nous nous opposons à la substitution des biosimilaires en pharmacie de ville. L’initiation et une possible interchangeabilité doivent uniquement être réservées aux prescripteurs !
La loi prévoit que la substitution en officine serait assortie d’une information au médecin prescripteur. Une précaution indispensable mais totalement irréalisable tant la mise en place promet d’être hasardeuse : joindre le médecin, sécuriser l’information, tracer l’éventuel refus, impacter le délai de délivrance… Le Dossier Médical Partagé est encore loin d’être un vecteur satisfaisant avec 5 millions de dossiers ouverts sur une population de 67 millions d’habitants !
La substitution est par ailleurs avancée comme rempart à une hypothétique pénurie de médicament, ce qui reste un argument très discutable et peu fondé. Si l’on regarde du côté des médicaments chimiques, de nombreux exemples récents montrent que les ruptures concernent aussi bien des princeps que des génériques.
D’autre part, si le principe actif des médicaments est équivalent, les dispositifs médicaux d’administration, eux, sont différents au sein d’un même groupe biosimilaire. Le passage d’un médicament de référence à un biosimilaire ou d’un biosimilaire à un autre biosimilaire nécessite à chaque fois un apprentissage. L’officine n’offre pas systématiquement les conditions nécessaires et indispensables à cet apprentissage, alors même que toutes les pharmacies n’ont pas encore de zone de confidentialité. Par ailleurs, avec un très faible volume de médicaments dispensés dans chaque classe, quelle expérience pourront faire valoir les pharmacies pour accompagner au mieux les malades ?
Une étude conduite par le Comité pour la Valorisation de l’Acte Officinal2 auprès des pharmaciens français rapporte que seulement 3 % des pharmaciens interrogés considéraient leur connaissance des biomédicaments comme très bonne alors qu’un tiers la déclarait même mauvaise.
Dans ces conditions, comment ne pas voir alors la substitution comme un enjeu politique plus encore qu’un atout pour les comptes sociaux et non comme un meilleur accompagnement pour les malades ? Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’aucun pays en Europe n’a fait ce choix.
L’enjeu aujourd’hui n’est pas de créer de la confusion mais de dépasser un débat mal posé, motivé uniquement par des intérêts économiques ou corporatistes.
Les biosimilaires sont une opportunité à saisir pour réellement redéfinir la relation entre les malades et l’ensemble des professionnels de santé impliqués dans leur accompagnement. Chacun a un rôle à jouer dans la décision médicale partagée, et les pharmaciens, médecins et infirmiers en sont des acteurs clés, garants de la confiance que le malade veut bien leur accorder. Aussi, permettre la substitution en pharmacie de ville est une « fausse bonne idée » et un risque majeur de fragiliser une pénétration dont le développement est satisfaisant, en brouillant inutilement les messages auprès des malades.
1 ACS (Action contre les Spondylarthropathies), AFL+ (Association Française du Lupus et autres maladies autoimmunes), AFS (Association France Spondyloarthrites), Asthme & allergie, Cancer contribution, France Lymphome Espoir, Inflam’œil, KOURIR (Association pour les enfants atteints d’arthrite chronique juvénile), Lupus France, Spondyloaction.
2 La lettre du CVAO, n°11, novembre 2018